« Je peins depuis tout le temps, ma première toile je l’ai faite à la maternité, rouge sur drapé ».

Depuis ses premiers croquis sur ses cahiers d’écolier, en passant par ses cours de dessin par correspondance durant son service militaire, Alain Le Tocquec a donné toute sa vie à sa passion, la peinture.

Finistérien de naissance, il est né à Clohars Carnoët en 1950, il s’installe à Nantes en 1973, et ne quittera plus cette ville, où il est contraint de vendre ses toiles pour subsister. Quelques accrochages ici ou là, une exposition consacrée à son œuvre au centre Roger Portugal, quelques installations dans les rues de la ville lui accorderont une reconnaissance seulement passagère. Il est vrai que comme tout artiste authentique, il ne sait pas « se vendre ».

Après une période abstraite, sa peinture glisse pas à pas vers une forme de lyrisme onirique d’inspiration surréaliste, dans laquelle il expose son attirance pour Dali, tout en gardant son originalité propre.

Mais peu à peu, dès les années 2000, ses soucis de santé ne lui permettent plus de maîtriser les pinceaux, et son exutoire sera le collage, assemblage d’images issues de revues promises à la destruction et auxquelles il redonnait vie. Il en créera une centaine qui tous traduisent avec force son imaginaire exubérant, dans un désordre organisé, et une volonté de dire l’inexprimable.

Alain Le Tocquec est décédé en décembre 2023.

« Alain fait partie de cette génération de peintres alliant la majesté d’un savoir-faire académique à l’originalité des techniques modernes. A la fois réaliste et fantastique, son travail s’oriente vers une facture surréaliste, transgressant les lois de la pesanteur et de la perspective avec des variations d’échelles, comme dans la cosmogonie imaginaire d’un monde parallèle où tout est possible … ».

Myriam Pascal, artiste peintre nantaise

 

«Pour lui, la réalité importe peu. Changeant; ou plutôt évoluant dans ses styles, Alain Le Tocquec a commencé dans l'abstrait, interessé uniquement par la matière. Dans ses oeuvres, on retrouve des bleus volontairement accentués, des nuages "envoûtants" selon ses propres termes, "symbôle de vertige, mais aussi de bien-être". Alain Le Tocquec donne libre cours non seulement à son imagination, mais aussi à ses états d'âme, et parfois même se laisse bercer par ses sensations physiques comme la fatigue, exemple d'un tableau à dominante rouge. Le soir de la confection de cette toile, il était extrêmement fatigué. Résultat : "Fournaise" évoquant celle du boulanger qui travaille la nuit... ».

Ouest-France, juin 1981, au sujet de l'exposition "Alternatives" au centre Roger Portugal.

En juin 1983, Alain Le Tocquec donne le dernier coup de pinceau à une oeuvre murale dans l'école maternelle nantaise Léon-Say, inaugurée la même année. Intitulée "Passages", la fresque a été choisie par la mairie de Nantes dans le cadre des 1% réservés à l'art.

« Pour énigmatique qu'il soit, le titre a une explication: "Je fais souvent de l'auto-stop, explique le peintre. Quand je suis sur le bord de la route, j'emmagasine des images que je fixe sur la pellicule photo... Elles me servent ensuite pour réaliser mes oeuvres". La perspective transportée par l'imaginaire dans la cour de l'école est une pointe de pôésie, un rien de liberté fixé à même le mur...»

Presse-Océan, 29 juin 1983

 

« Les murs sont des images. L'artiste, qui veut "relier l'abstraction à la figuration", intitule son œuvre "Passages" : comme un coup d'œil par-dessus le pont de la Roche-Bernard; comme un coup de cœur pour un petit chat en transit qu'on accueille à domicile...»

La Tribune N° 28 du 13 au 21 juillet 1983 P. 14

En octobre 1983, faute de pouvoir payer ses loyers, Alain Le Tocquec est expulsé de son domicile, mis à la rue avec toiles et pinceaux, alors qu'une exposition au Grand Palais était prévue dans le cadre de l'évènement "Jeune Peinture".

« Avec son grand manteau de traîne misère, avec son chapeau d'outre-temps, avec ses longs cheveux noirs et son visage d'ange affamé, il n'a plus pour tout bagage que son press-book. Et la rue pour tout voyage. Il n'est qu'un expulsé parmi d'autres. Mais lui, c'est un artiste. La peinture c'est son âme. Il a cru qu'elle lui donnerait aussi un peu du pain quotidien. Oh ! pas pour faire des festins - les rêves y suffisent et ce sont les plus beaux. Simplement des miettes pour payer un loyer. Las ! On n'entre pas par effraction dans le royaume des marchands. Les toiles, trésors de fièvre, se sont entassées comme autant de pauvres choses qui chaque soir vous accusent. Bon ou mauvais, l'art d'Alain Le Tocquec enfant de Quimperlé ? La question est indécente en vérité. Il a pourtant tout fait, Alain, pour sortir, lui et ses semblables de l'écrasement. Il a créé pour les peintres et sculpteurs, une association la «Nef » - permettant d'avoir des ateliers. Cela a duré deux ans, tant les sympathies, soutiens, encouragements ne sont que matières volatiles, sans atelier, il s'est bientôt mis à peindre dans ce petit logement du centre de Nantes où les tolles se sont accumulées, bloquant, mais oui ! la porte du vieux réfrigérateur. Et puis il n'a pas pu payer... En 1981, c'est alors le couperet de l'expulsion. Jack Lang, le syndicat des artistes plasticiens, la préfecture, la municipalité interviennent. Mais les soutiens sont décidément volatiles et... Jeudi matin, l'huissier, le commissaire et le serrurier sont là. Alain emporte son press-book et laisse une centaine de toiles entre le frigo et la gazinière… La détresse n'a pas besoin de vedette: il n'est, Alain, qu'un expulsé parmi d'autres. Depuis, pourtant, pas tout à fait comme les autres, il voyage sur une planète de macadam avec son grand manteau, son grand chapeau et son grand étonnement d'ange qui n'a jamais su ce que le mot révolte veut dire.»

Ouest-France, 22 octobre 1983